En ces derniers jours de 2015, une grande figure du monde du cheval nous a malheureusement quittés. Agé de 81 ans, Germain Levallois s'est éteint la nuit dernière... Un long et vibrant hommage a été publié sur le site internet du Haras de Semilly :

"Un grand Homme s’en est allé ce lundi 28 Décembre 2015 et la peine que nous éprouvons est à la taille de sa grandeur. Une lumière s’est éteinte, mais son âme restera à jamais gravée dans le cœur de ses proches. Germain Levallois laissera également un souvenir indélébile dans l’histoire de la grande famille de l’élevage et des sports équestres.

Né en 1934, Germain était le dernier d’une famille de 5 enfants : Louise, Pierre, Bernard et Georges. Il était très proche de sa grande sœur Louise qui s’est occupée de lui comme s’il avait été son premier enfant.Cet homme, pourtant discret, simple, effacé, a marqué les gens qui l’ont bien connu par sa bonté, sa sensibilité, son honnêteté sans faille, son sens aiguisé de la justice et sa volonté de ne jamais se mettre en avant, faisant toujours passer ses intérêts avant ceux des autres. Pour le Monde du Cheval, il restera dans les mémoires comme un fin connaisseur en matière de chevaux de sport et un véritable « Homme de Cheval » comme il en reste peu. Germain tirait cette connaissance de son propre père, Louis Levallois, lui-même dans le métier et duquel il a tout appris dès son plus jeune âge. Il vouait à ce père énormément de respect et d’affection.

Du haut de ses 10 ans, la 2nde guerre mondiale et le débarquement en Normandie l’ont fortement marqué. Son père, prisonnier des allemands à Saint-Lô, a failli mourir dans sa cellule sous les pilonnages américains destinés à libérer la ville. Les années post-guerre ont également été difficiles. En pensionnat à l’Institut de Saint-Lô, il était terrorisé les nuits d’hiver glaciales par les rats qui venaient lui ronger le lobe des oreilles. L’autre moment marquant durement les débuts de sa vie fut la guerre d’Algérie où il fut envoyé et dont il n’aimait pas parler. Lui, pacifiste et cherchant toujours à éviter les conflits dans la vie, avait gardé un souvenir amer de cette guerre qui l’avait aussi éloigné de celle qui venait de prendre son cœur, Micheline. Elle deviendra sa femme et ils ne formèrent qu’un, soudés à jamais, partageant ensemble tous les bons et les plus durs moments que la vie leur a réservés. Ils eurent 3 enfants : Richard, Eric et Sylvie. Nathalie Obiol, arrivée à 20 ans d’Equateur pour un séjour en France est également entrée dans le cœur de la famille pour ne plus jamais en sortir. De la génération suivante sont nés 5 petits-enfants : Paul, Charlotte, Solenne, Kevin et Dylan qui emplirent leur vie de bonheur. Parmi ses dernières paroles, Germain confiera : « J’ai eu une vie bien remplie … mon seul regret aura été de ne pas avoir eu le temps de voir mes petits-enfants grandirent et pouvoir aller les voir en concours. »

Le Cheval est effectivement un pilier de cette famille. Plus qu’une passion, c’est l’essence-même de leurs vies. Nés au milieu des chevaux, ils savent les comprendre, les respecter et leur rythme de vie s’est calé sur la leur, naturellement. Cette connaissance de l’Animal, transmise de génération en génération se révèlera un atout indéniable et fera basculer le destin de la famille Levallois quand Germain se rendit un jour de 1977 chez Jules Mesnildrey pour acheter un certain Le Tot de Semilly ... L’éleveur ne voulait pas vendre ce poulain, mais c’est bien celui-là que Germain avait repéré et il dut négocier un lot entier pour l’obtenir. Germain avait l’œil pour détecter les « graines de champion » et Le Tot se révéla effectivement comme un sauteur hors-pair dès ses premiers parcours. Eric, qui commençait à se distinguer en CSO pour le plus grand bonheur de son père, récupéra rapidement Le Tot et ils débutèrent ensemble leur carrière internationale, couronnée d’une médaille d’Or par équipe et une 4ème place en individuel aux Championnats d’Europe Jeunes Cavaliers à Cervia. Au vu de la qualité du cheval, Germain fut bientôt sollicité pour le vendre. Les sommes plus qu’alléchantes proposées à l’époque à cette famille qui était loin de rouler sur l’or et devait parfois aller vendre impérativement un cheval avant la fin du mois pour payer ses traites, causèrent des nuits blanches à Germain, mais celui-ci eu la clairvoyance de ne pas choisir la facilité. Il se disait qu’avec cet argent ses enfants auraient certes une vie moins rude, s’achèteraient sans doute une belle voiture et puis … que resterait-il de tout cela après ? Il a préféré conserver leur outil de travail et leur apprendre à semer pour récolter car il voyait en Le Tot davantage qu’un cheval ordinaire … L’avenir lui a donné raison et ce fut le tournant de la vie de la famille, lançant la carrière de cavalier international d’Eric mais aussi celle d’étalonnier pour Richard, avec le Haras de Semilly qui se profilait à l’horizon … La carrière d’étalon de Le Tot mit du temps à décoller, mais progressa régulièrement pour arriver à la fin parmi les meilleurs pères à l’échelon mondial, ayant produit notamment le fabuleux Itot du Château, resté plusieurs mois d’affilée n°1 mondial en saut d’obstacles, et surtout un fameux Diamant de Semilly …

L’histoire avec Jules Mesnildrey, le naisseur de  Le Tot, et Germain ne s’est effectivement pas arrêtée à la vente de ce poulain. En effet, l’éleveur voulait utiliser Le Tot comme étalon pour son élevage mais toutes ses poulinières étant de la même souche, il ne pouvait pas. Il a donc demandé à Germain, en qui il avait toute confiance, de lui trouver une jument qui se marierait bien à son étalon et ce dernier lui a ramené Venise des Cresles, qui donna naissance au petit Diamant. Malheureusement, elle mourut des suites d’une infection quelques jours après le poulinage et l’éleveur qui, à son âge, ne voulait pas s’occuper d’un poulain si jeune appela Richard pour lui demander s’il voulait bien prendre le petit orphelin. Richard, qui avait développé l’élevage en parallèle de l’étalonnage, ne pouvait pas abandonner le fruit du croisement de son père. Il accepta le don de Jules et éleva ce poulain avec un autre orphelin, se relayant jours et nuits pour les tétées avec son employé, Louis Leparquez. C’est ainsi que Diamant grandit en liberté dans la cour avec son copain, venant prendre régulièrement leurs biberons par la fenêtre du haras que la famille venait d’acquérir à Couvains pour y développer leur élevage et un centre de reproduction équine. En effet, Richard avait passé son diplôme d’inséminateur et de chef de centre pour répondre à la demande croissante des éleveurs vis-à-vis de Le Tot. Germain était fier du Haras de Couvains et aimait amener les étalons pour les prélèvements, venir surveiller les animaux, voir les nouveaux-nés … A l’âge de 3 ans, les qualités exceptionnelles de Diamant apparurent au grand jour. En lui faisant sauter ses premières barres pour préparer le concours étalon, Richard et Germain notèrent une aisance qu’ils n’avaient encore jamais vue auparavant chez un autre cheval. Le directeur du Haras National de Saint-Lô de l’époque, Guy Bidault, le remarqua également et voulut acquérir l’étalon, mais l’Administration refusa sous prétexte que Diamant était « hors normes » … en taille ! Ce fut un soulagement pour Germain et Richard qui croyaient en leur protégé et le confièrent à Eric pour sa carrière sportive et ce dernier sut la gérer intelligemment jusqu’au plus haut niveau, décrochant 2 médailles de Champion de France et l’Or par équipe aux Championnats du Monde en 2002. Ce fut sans doute le plus beau souvenir de Germain. Toute la famille était réunie avec des amis proches. Personne ne s’attendait à un tel résultat car Diamant avait déclenché une fièvre des transports en arrivant à ces Championnats et il était au plus mal 2 jours avant le début des épreuves, mais l’entraîneur national, Jean-Maurice Bonneau, croyait en lui et la suite s’est enchaînée comme dans un conte de fées : deuxième de la chasse puis un sans-faute dans la Coupe des Nations et le sacre d’une équipe de France composée de 4 étalons Selle Français qui a marqué la mémoire collective et déclenché des larmes de bonheur à Germain : un père fier de son fils, un éleveur fier de son cheval, un propriétaire fier pour la France.

En parallèle, la production de Diamant commençait à poindre le bout de son museau et faire parler d’elle en épreuves jeunes chevaux. Kalaska de Semilly fut d’ailleurs sacré cette même année Champion de France des 4 ans et, au vu des statistiques, le spécialiste en génétique équine, Luc Tavernier, prédisait déjà à Diamant une grande carrière d’étalon. Il ne se trompa pas et chaque année Diamant faisait un peu plus parler de lui, pour la grande fierté de Germain qui suivait toujours très attentivement les résultats. Ses bons résultats sportifs et la gestion rigoureuse de sa carrière d’étalon par Richard, dont le sérieux et le professionnalisme ont fait la réputation du Haras de Semilly, ont aidé Diamant à atteindre plus rapidement une renommée internationale qui s’est accrue régulièrement jusqu’à atteindre son apogée en cette fin 2015 où Diamant a décroché la place tant convoitée de n°1 Mondial des Etalons de saut d’obstacles. Ce sacre est arrivé à point nommé pour Germain. L’aboutissement du travail de toute une vie et de toute une famille. Peu nombreux sont effectivement ceux qui ont su déceler un étalon Chef de Race, produire son meilleur fils, l’emmener sous la selle familiale jusqu’au plus haut niveau, gérer toute sa carrière d’étalon et le voir parvenir au sommet de la hiérarchie mondiale ! Souffrant d’une grave maladie, ce fut le dernier plus beau cadeau de Germain, avec les coupes ramenées par ses petits-enfants et la chaleur humaine de toute sa famille réunie auprès de lui jusqu’au dernier souffle de sa vie. Une vie de travail dédiée aux animaux sans jamais vraiment prendre de vacances … mais ses vacances, c’était les concours hippiques, alors pourquoi aller ailleurs ? … au grand dam de Micheline qui aurait voulu partager également d’autres choses avec son mari. Une vie riche en émotions avec les bons résultats, mais aussi les moments de doute, de galère, les problèmes à gérer et les pires stress à surmonter comme notamment les coliques de Diamant en 2008 où, pendant plusieurs semaines et 3 opérations successives, le souffle d’une famille fut suspendu à celui de son cheval. Tous unis dans l’énergie du désespoir, ils ont fait tout ce qui était humainement possible pour le sauver, au-delà des limites de la médecine vétérinaire, notamment Sylvie qui a veillé sur lui comme une mère au chevet de son enfant … et ils y sont parvenus. Cette volonté, ce moral de battant, cette solidarité familiale et la solidarité plus générale existante au sein de la grande famille du Cheval qui touchait beaucoup Germain se sont retrouvés démultipliés à une toute autre échelle encore en Décembre 2009 lors de l’accident de voiture d’Eric qui a failli lui coûter la vie. Ce fut une terrible épreuve, mais jamais ils n’ont baissé les bras et ont tout fait pour l’aider à s’en sortir.

Diamant avait survécu, Eric également. Il ne pouvait en être autrement pour Germain, lui qui était toujours si positif ! … et pourtant, malgré les efforts de tous, le pilier de la famille s’en est allé … marquant par son travail et ses choix judicieux l’histoire d’une famille et celle du monde du cheval de sport … laissant derrière lui tous les plus beaux souvenirs à ceux qui l’ont côtoyé : ses larmes d’émotion, son sens de l’humour arrivant toujours à point nommé, ses rires aux larmes, ses embrassades débordantes d’affection, sa douceur, sa simplicité, peu de paroles mais un cœur qui en disait bien davantage et de manière bien plus sincère que de longs discours formatés …

Le jour où mon heure sera également arrivée, j’aurais plaisir à le retrouver.

Cérémonie mercredi 30 décembre à 14h30 à l'église Notre Dame à Saint-Lô."

Nous adressons nos plus sincères condoléances à l'entourage de Germain Levallois que le monde du cheval ne risque pas d'oublier !